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Ceci n’est pas une question piège, même si elle doit étonner un bon nombre d’entrepreneurs. Connaître l’état actuel d’une profession dont est issu votre plus proche conseiller serait pourtant judicieux à bien des égards.
Par empathie tout d’abord. En effet, une connaissance symétrique de vos métiers entraînera à coup sûr une communication plus humaine dans votre précieuse relation. Par curiosité également, être à même d’anticiper les évolutions du métier d’expert-comptable permet à un chef d’entreprise de mieux appréhender l’offre de services auxquels il peut souscrire. Par solidarité enfin, car les experts-comptables sont eux aussi des chefs d’entreprise qui oscillent entre doutes et enthousiasme.

Dirigeant et consultant en stratégie, organisation et gestion interne chez RC&A CONSULTING, Stéphane Regnier accompagne depuis plus de vingt ans les cabinets comptables. Il fait le point pour les chefs d’entreprise sur les défis, actuels et futurs, du métier comptable.
Comment se porte et se structure actuellement le métier d’expert-comptable ?
Depuis quelques années déjà, la profession est en train de perdre son plus gros client
régulier : l’État. Ce dernier allège de nombreuses obligations comptables, sociales et juridiques, tout en alourdissant le rôle des cabinets… si possible à titre gratuit ! Le but officiel est de fluidifier les démarches administratives afin d’abaisser leurs coûts pour les entreprises, ce qui est louable. Mais dans la réalité de certains petits cabinets, c’est un véritable séisme. Actuellement, 90% des cabinets ont moins de dix collaborateurs pour une moyenne de 250 clients. En se désengageant progressivement, l’État est en mesure de les priver brutalement de 30 % de leur CA annuel, à l’exemple récent de la probable suppression des commissariats aux comptes dans les PE. Cette dépendance vis-à-vis de l’État, héritée du passé, peut être fatale pour leur survie. Une analyse causale montre que la plupart des soucis actuels des cabinets sont liés à cette dépendance aux obligations légales. D’autant qu’une grande partie de ces petits cabinets n’a jamais vraiment eu une politique « disruptive » à l’égard de son business model. Aucune réflexion profonde sur la création nouvelle de valeur, au profit du client, n’est réalisée.
Quelles sont les possibilités pour ces structures, compte-tenu de leurs moyens, de créer de la valeur supplémentaire ?
On assiste actuellement à une rapide concentration dans la profession. Quelques centaines de cabinets pratiquent des politiques agressives de rachat. Ces méga-cabinets de plus d’un millier de collaborateurs structurent autour d’eux une foule de compétences, afin de proposer une offre transversale à leurs clients. Et de l’autre côté, les petits cabinets souffrent en silence. Deux choix possibles s’offrent à eux pour éviter la disparition. Soit ils choisissent le chemin de l’industrialisation de masse, en multipliant les dossiers à prix low-cost, ce qui est une voie très difficile, pour laquelle il leur faut instaurer de nouveaux processus de management et s’appuyer sur des outils comme l’Intelligence Artificielle. Soit ils prennent le chemin de la différenciation, acceptant pour cela de ne plus rester des purs généralistes et se recentrer au maximum sur des activités spécifiques. Pour ma part, je suggère aux cabinets un chemin médian entre ces deux extrêmes. Les cabinets sont obligés d’emprunter les deux voies : pratiquer une politique interne de low-cost, car une baisse du coût de revient de leurs dossiers est possible jusqu’à 50 %, tout en allant vers des missions de conseil.
Pourquoi ces fameuses missions de conseil ne se développent pas plus, malgré l’urgence de la situation pour certains cabinets ?
C’est plus facile à dire qu’à faire. Depuis 30 ans, la part du conseil dans le CA des cabinets stagne autour de 5 à 7 % par an. Outre le fait que, pendant longtemps, les cabinets n’ont pas eu besoin d’en développer (la croissance organique suffisait), la plupart ne disposent pas des masses critiques pour réussir le développement d’une prestation de conseil sur leurs portefeuilles actuels. Les marges de la profession se réduisant et les collaborateurs se faisant rares, il est compliqué pour les cabinets de dégager les moyens et les ressources humaines nécessaires. Par ailleurs, le manque de vision stratégique a fait des dégâts ; par exemple, quand les cabinets ont tenté de développer le conseil en gestion de patrimoine, cela a été un échec flagrant. Il leur faut alors (grâce à Internet) aller travailler sur des prospects et une zone de chalandise beaucoup plus large. Un travail de fond en marketing, en commercial, en organisation de la production et en SAV devient alors nécessaire, et c’est un lourd travail. La vision stratégique et le management des collaborateurs prennent alors toute leur importance.
Ce qui complique également la tâche des cabinets, c’est l’atomisation de la demande. Le profil-type du client est-il beaucoup moins homogène qu’avant ?
Comme dans toute profession en pleine mutation, il faut savoir faire preuve d’empathie et de modestie. Si le CA stagne ou baisse, ce n’est pas que pour des raisons externes. Il faut donc beaucoup d’humilité pour prendre du recul par rapport à une activité que l’on exerce parfois depuis 20 ou 30 ans. C’est vrai que les chefs d’entreprise sont plus exigeants, plus indécis et qu’ils n’hésitent pas à faire jouer la concurrence. Mais ce n’est que le reflet de l’évolution sociétale de notre économie. Je dis souvent à des cabinets : « Oui, vous connaissez vos clients sous un certain angle mais, non, cette connaissance actuelle ne vous permet pas pour autant de réaliser les offres de services qu’ils attendent de vous. Vous les connaissez sous un prisme technique et ne les interrogez pas assez sur leurs attentes…». Et c’est normal, à aucun moment les experts-comptables n’ont été formés à la stratégie et au marketing. Pour autant, le développement ne peut se concevoir que quand les premiers piliers du cabinet (organisation, gestion interne, système d’information) sont déjà bien établis, c’est ce que nous appelons « la chronologie de la performance ». Faire les choses dans le désordre rend l’échec quasi-certain.
Interview parue initialement dans notre livre blanc « L’Odyssée des experts comptables ».
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