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Comment rester maître de son entreprise lors d’une levée de fonds ?

Comment rester maître de son entreprise lors d’une levée de fonds ?

Les entrepreneurs ont souvent besoin d’investisseurs pour développer une idée, un nouveau projet ou une ouverture à l’international. Expert-comptable spécialiste en stratégie de financement, Julien Billy fait le point sur l’ouverture de capital, une étape charnière dans la vie d’une entreprise qui fait autant peur que fantasmer.

Lorsqu’il expose son parcours professionnel, il est facile de se rendre compte que Julien Billy est un homme de terrain. Après des expériences dans des structures à taille humaine à Angers, au Mans et à Tours, il officie depuis près de deux ans dans le groupe d’expertise-comptable Soregor en tant que spécialiste en gestion d’entreprise. Dans son discours une expression retient rapidement notre attention : « soutien psychologique aux chefs d’entreprise». En effet, lors d’une levée de fonds, et plus généralement dans les étapes de la vie d’une société, l’expert-comptable est autant un technicien des chiffres, qu’un psychologue de la finance.

Pour bien accompagner un chef d’entreprise, quelles sont les qualités essentielles d’un bon expert-comptable ?

Que nous soyons des techniciens des chiffres, c’est un pré-requis. Mais au final, un expert-comptable est surtout apprécié pour sa qualité d’écoute. Le chef d’entreprise a besoin d’un référent, une personne à qui se confier. La vie d’un patron est stressante, il a sous sa responsabilité des personnes, des avenirs, des familles. Il se doit de faire tourner son affaire, de s’assurer d’être payé à temps par ses clients et il est aussi quotidiennement à l’écoute des problèmes de ses employés. Mais qui est à l’écoute de ses propres questionnements et angoisses ? C’est aussi le rôle de l’expert-comptable. Cela pourrait paraître logique pour une personne extérieure, mais dans la réalité les chefs d’entreprises manquent clairement de « soutien psychologique ».

Dans votre livre blanc « L’Odyssée des experts comptables », vous cernez d’ailleurs très bien la raison de cet état de fait. Les experts-comptables ne sont pas à blâmer, ce ne sont pas des êtres apathiques. Lors de leurs études, ils ne sont pas du tout formés à ce type de problématiques. Du coup, il faut apprendre et passer du temps sur le terrain.

Pour le grand public, on a souvent l’impression que le terme « levée de fonds » est comme sacralisé, voire presque fantasmé. Qu’en pensez-vous ?

Les sites d’informations aiment relayer les succès éclatants et les histoires des licornes du secteur, comme le démontre l’abattage médiatique monstre autour de la récente levée de fonds de 150 millions de Doctolib. C’est normal, cela fait rêver les gens et encourage les entrepreneurs. Et en même temps, cela offre une vision, un peu caricaturale de l’ouverture de capital. La première idée reçue est de croire que seules les start-ups en sont capables.

La levée de fonds fait partie intrinsèquement de leurs modèles de développement, mais premièrement elles ne le font pas toutes, et deuxièmement c’est à la portée de toutes les sociétés. Pourtant, je ressens comme un certain frein culturel au sein du tissu entrepreneurial français.  Par exemple, chez les entreprises familiales ou d’associés de longue date, j’observe que les levées de fonds sont très rares. L’arrivée de nouveaux financiers pose presque une appréhension infranchissable. Comme si le fait de rechercher des fonds, de devoir présenter son entreprise et la vendre, était dévalorisant pour une entreprise historique.

Pourtant, lorsque ces sociétés tentent de souscrire des prêts auprès d’une banque, elle exécute la même démarche. Elles montent un dossier, elles le présentent du mieux possible afin de séduire son interlocuteur. Un bon expert-comptable doit réussir à déconstruire ces schémas de peur. Réaliser un pitch devant des investisseurs ou devant un banquier, c’est la même chose. Néanmoins les implications ne sont pas les mêmes : le cadre d’un financement bancaire implique une garantie maîtrisée. Un investisseur fera part de la vie de la société lors des décisions annuelles avec une prise de risque non garantie.

Est-il possible d’effectuer une ouverture de capital tout en gardant la main sur son entreprise ?

Évidemment, conserver son pouvoir en mobilisant son financement est avant tout une affaire de clarté des objectifs de chacun. Dès le début, il faut cerner la volonté du projet d’entreprise afin que cette décision ne soit jamais subie. Ma société a besoin d’un investisseur financier ou industriel ? Faut-il privilégier la cession d’actions, l’ouverture de capital ou combiner les deux ? Est-ce que je prévois d’effectuer d’autres levées de fonds ? Du coup, comment prévoir en amont mes futures pertes de pouvoirs ? L’étape de sortie des investisseurs est également à prendre en compte.

Ce type de problématiques, les entrepreneurs ne se les posent que rarement en amont. Et toutes les réponses à apporter sont intimement liées à l’histoire et l’activité de l’entreprise. C’est pour cette raison que l’expert-comptable est la personne la plus à même pour conseiller le chef d’entreprise lors d’une ouverture de capital. Il réussira à se projeter de manière cohérente grâce à sa technicité sur les comptes et sa connaissance de la stratégie à venir de la société. Pour garder le pouvoir, la qualité du montage est essentielle et s’intègre dès la conception du financement, dans une optique de négociation avec vos futurs partenaires financiers. Aucun droit spécifique n’encadre réellement l’ouverture de capital. Il faut donc prévoir très précisément les règles du jeu.

C’est à ce moment qu’intervient le pacte d’actionnaire ?

Il n’est pas totalement connu par tous les néo-entrepreneurs et certains pensent même qu’il est facultatif, dans la mesure où aucune loi ne l’impose. Pourtant, c’est un outil essentiel pour vivre en harmonie avec ses nouveaux investisseurs. C’est un outil contractuel relativement complexe qui se limite à ses signataires. À la différence des statuts, il est modulable à travers l’insertion de différentes clauses. C’est un outil extra-juridique qui prévoit les modalités de changement de contrôle, de sortie, la répartition des tâches ainsi que le degré d’information des investisseurs. Il fixe l’état d’esprit général dans lequel les parties s’associent. Un bon pacte d’associés doit anticiper de possibles futurs conflits, que ce soit à propos de sujets importants comme la stratégie de l’entreprise, comme sur des sujets plus simples, comme le type d’informations à transmettre sur l’activité.

Le pacte se doit de régir également les entrées et sorties d’associés tout en veillant à sauvegarder les intérêts des uns et des autres et surtout de l’entreprise. Négliger le contenu du pacte d’associés peut conduire à des déconvenues comme des situations de blocage. Ainsi n’hésitez pas à inclure dans ce contrat des clauses de préemption, d’indivisibilité, d’inaliénabilité, d’agrément ou encore d’anti-dilution. Il est indispensable de se rapprocher d’un cabinet comptable avec un cabinet d’avocats spécialisés dans ce type de problématiques. Lors de la négociation avec les nouveaux actionnaires, il faudra réaliser le grand écart. Un chef d’entreprise doit faire preuve de souplesse, pour ne pas apeurer les investisseurs, mais également être ferme sur certains points, notamment sur la gestion de l’entreprise.

Est-ce que les chefs d’entreprises vivent parfois mal le fait de devoir partager le pouvoir décisionnel ?

Cela dépendra de votre expérience. Si l’entreprise est mature, le chef d’entreprise aura certainement plus de latitude de la part des investisseurs car il a déjà fait ses preuves en matières managériales et de gestions stratégiques. Dans la situation inverse, l’entrepreneur ne doit surtout pas se sentir bridé. Les actionnaires sont également là pour apporter leurs expertises, ils permettent un regard extérieur sur l’organisation de la société. Ils viennent également avec un gros bagage d’expérience, un réseau et un carnet d’adresses, leurs présences crédibilisent votre projet. Dans les deux cas, il faudra apprendre à rendre des comptes.

Après une levée de fonds, le très long terme est bien souvent mis entre parenthèse afin de tenir les chiffres « court terme », se focaliser sur la structuration de la boite et la croissance du chiffre d’affaires. C’est aussi le moment de se familiariser avec les reportions de votre expert-comptable, ces tableaux de bord qui permettent de suivre les fluctuations de votre activité. Au final pour répondre à la question initiale, pour rester maître à bord lors d’une levée de fonds, il faut savoir prendre un choisir un bon vice-capitaine, autrement dit un bon expert-comptable.

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