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Multiple recordman du monde d’apnée, écologiste placide et explorateur des profondeurs, Guillaume Nery pratique sa discipline comme un art total. Si bien que sa philosophie s’assume comme un modèle de management en matière de gestion du risque et de la performance en entreprise.
Qu’est-il possible de faire en 7 minutes ? Cuire des pâtes « al dente » selon les instructions, bien françaises, d’un paquet de spaghetti, prendre une douche et se laver les dents ou encore écouter en entier la chanson « Hey Jude » des Beatles. Voici des activités facilement réalisables pour le commun des mortels. Pour Guillaume Néry, ces 420 secondes sont suffisantes pour qu’il plonge, en une seule respiration, à 125 mètres sous la surface de la mer.
Double champion du monde, ce spécialiste de la plongée en poids constant – il descend et remonte à la seule force de ses palmes – a battu à quatre reprises le record du monde d’apnée. Pour et par l’apnée, le niçois de 36 ans s’est forgé depuis quelques années une solide réputation : celle d’un homme amphibie charismatique, humble et toujours prêt à partager son expérience du risque. Au point de devenir l’égérie mondiale de son propre sport et le porte-parole d’une nouvelle philosophie de vie, utile aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle.
L’apnée ou le goût raisonné du risque
En 2015, Guillaume Néry accède en mondovision au statut d’égérie mondial de l’apnée. Cette année-là, la chanteuse Beyonce lui confie, à lui et à sa compagne apnéiste Julie Gautier, la réalisation de son clip « Runnin’ ». Le résultat est onirique et explose les records d’audience, près de quatre minutes de chorégraphies subaquatiques pour près de 360 millions de vues sur YouTube. Pourtant, l’homme barbotte dans le grand bleu depuis déjà un moment. Monstrueux de précocité, il intègre l’équipe de France de sa discipline dès 19 ans. Trois ans plus tard, il bat le mythique record de Jacques Mayol en atteignant la profondeur 105 mètre dans la catégorie No Limits, qui consiste à descendre avec une gueuse et remonter avec un ballon d’air. Capable de paver d’or tout ce que sa nageoire touche, ce Midas aquatique décide pourtant de mettre un terme à sa carrière en 2015 lorsqu’il frôla la mort. Lors d’une compétition officielle à Chypre, une erreur de marquage des organisateurs le fait descendre à 139 mètres au lieu de 129 mètres, dix mètres semblables à un Everest à ce niveau. En remontant, il syncope à environ 15 mètres de la lumière et devra être réanimé d’urgence. Choqué, il décide d’arrêter le haut-niveau, mais pas l’apnée, qui est pour lui un mode de vie. Un homme amoureux du risque certes, mais raisonnablement.
Depuis le gaillard se consacre pleinement à la sensibilisation écologique au travers de sa société production « Les Films engloutis ». Ses films sont des invitations à des promenades aquatiques introspectives qui baladent le spectateur aux quatre coins du globe. « Ocean Gravity », « Free Fall » ou encore le plus récent « One Breath Around The World », chaque court-métrage est viral et suscite l’admiration. Il n’est pas pour autant question pour lui de s’enfermer dans le carcan du porte-parole écolo engagé, comme il l’explique dans un article de Libération. À la volubilité du politiquement correct, Guillaume Néry préfère le pragmatisme.
« Nous sommes dans une démarche artistique plus que documentaire. Nos images vont forcément bousculer, donner des sentiments d’amour pour un milieu et l’envie de le protéger. Pour autant, je suis mal à l’aise à l’idée de dire : « Je suis un grand défenseur de l’environnement, mais je passe ma vie à explorer le monde en avion »
Maintes fois comptée, la vie de Guillaume Néry est une odyssée des temps des modernes sur laquelle nous pourrions disserter encore longtemps. Pour encore mieux saisir son parcours, nous vous invitons à lire son excellent portrait par Béatrice Gurrey publié début mai pour le journal Le Monde. La littérature à son sujet est conséquente sur le web, vous pourrez facilement étancher votre soif de connaissance à propos du sportif. Par contre, un aspect, encore trop peu abordé, mériterait plus de réflexion. L’apport bénéfique, et étonnant, de l’apnée dans la gestion managériale d’une entreprise.
La respiration, un bienfait insoupçonné pour les chefs d’entreprise
À priori, les mondes du management en entreprise et de l’apnée n’ont pas grand chose en commun. Et pourtant… Guillaume Néry définit sa discipline comme une obsession insatiable du chiffre. Sous l’eau, la réussite se polarise autour de deux variables incompressibles : le temps et l’objectif de profondeur. Pour atteindre son graal, le nageur n’est pas en pleine capacité de ses moyens, l’eau est glacée, le souffle est court et le corps est écrasé par la pression. Obnubilé par la recherche de résultats rapides et les chiffres, le chef d’entreprise ou le manager est dans une situation analogue.
L’étalon mètre de la pression, le millibar, est remplacé ici par ses actionnaires ou ses supérieurs.
Le chronomètre laisse place aux « quarters », qui s’égrènent inlassablement Q1,Q2,Q3… Sous l’eau comme en entreprise, la quête de performance implique de bien mesurer chaque prise de risque. Pour Guillaume Néry, tous les défis exigent un entraînement, une préparation mentale. Que ce soit pour réaliser des défis extraordinaires ou plus modestes, ceux de la vie de tous les jours, il préconise de travailler sur la respiration.
« La respiration est la seule de toutes les fonctions physiologiques autonomes sur laquelle il est possible d’agir et d’avoir la mainmise. Le souffle est un territoire immense qui permet de moduler ses émotions, ses états de conscience, sa concentration, son calme, sa créativité… Maîtriser sa respiration est un moyen de reprendre le contrôle de son corps et de son esprit. En médiation, on appelle cela le balayage corporel, l’esprit porte toute son attention sur ses sensations physiques les unes après les autres. Dans nos modes de vie actuels, où l’on est sans cesse stressé, distrait par toutes sortes de sollicitations, un tel moyen de contrôle est éminemment précieux. ».
La respiration comme moyen d’introspection, mais également comme moyen d’atteindre un haut niveau de performance.
Gérer sa respiration est une bonne manière de partialiser ses efforts.
Dans l’eau, une fois arrivée au fond, l’apnée n’est qu’à moitié réalisée, il faut ensuite remonter. En septembre 2018, il détaille une de ses techniques dans une interview pour le site « Cerveau & Pyscho ».
« Lors des trois ou quatre minutes qui précèdent un gros défi, il faut mettre en place un rythme particulier de respiration. Il faut inspirer pendant environ 5 secondes, puis suspendre son souffle pendant un temps équivalent, puis expirer de façon contrôlée pendant 15 à 20 secondes. Une fois que les poumons sont vides, faite une pause de quelques secondes, puis répéter l’opération. Ce cycle de respiration très lent met le corps et l’esprit dans un état de relâchement extrême ».
Guillaume Néry est formel, la technique de respiration s’acquiert, comme toutes choses, grâce à de l’entraînement. En parallèle, il n’hésite pas à évoquer les valeurs de son sport et à les confronter au monde de l’entreprise. Pour lui, c’est grâce à l’authenticité de ses valeurs, qu’une entreprise entraînera un réel engagement de la part de ses collaborateurs. Il évoque alors un triumvirat indispensable à tout bon manager moderne : la patience, la confiance et le plaisir.
La patience, mantra du manager moderne
Sous la pression du résultat, certains managers ou chefs d’entreprise ne prennent pas le temps de s’écouter. Ils ont du mal alors à expliquer et à former leurs équipes. Ce manque de patience est dommageable autant dans le sport que dans l’entreprise. En apnée, le manque de patience peut être fatal, tout comme dans la vie professionnelle. C’est souvent cette précipitation qui entraîne une prise de risque démesurée. Souvent les chefs d’entreprise assimilent leurs échecs à une trop grande prise de risque alors qu’elle n’est que la traduction concrète d’un manque de patience. Interprète moderne de la célèbre fable de La Fontaine « Le Lion et Le Rat » – « Patience et longueur de temps, font plus que force ni que rage » -, Guillaume Néry s’explique :
« Plongée après plongée, il faut emmagasiner une dynamique positive de confiance, même si la progression n’est pas celle imaginée. À trop écouter son ego ou à trop regarder ou se comparer aux autres on est vite tenté de ne pas avoir la patience et de se mettre en danger ».
Hiérarchiser son besoin de confiance pour redonner du plaisir à ses équipes
Cette accumulation de patience, et de petits succès, permettra d’atteindre la deuxième valeur : la confiance. « Revenir en arrière, si on est mal à 100m de profondeur, revenir à 90 pour mieux rebondir. C’est très dur, frustrant mais indispensable pour installer la confiance ». Pragmatique, Guillaume Néry préfère réussir un objectif modeste plutôt que d’échouer face à un objectif démesuré. Transposer dans le monde du travail, cette réflexion conduit à placer ses équipes dans la situation d’obtenir des succès pour atteindre des objectifs et accumuler de la confiance, une des clefs incontournables du succès. D’ailleurs l’apnéiste a une approche originale de la performance qu’il conviendrait d’adopter en entreprise. Il classe les objectifs en trois catégories :
L’objectif minimum, c’est celui de la satisfaction, nous avons fait mieux que l’année précédente.
L’objectif principal, c’est celui-ci, mon but officiel, celui qui est capable de me donner « la chair de poule ».
Enfin l’objectif caché, celui qu’on fantasme parfois dans un coin de sa tête avant de revenir à la réalité. Si on est avance sur sa feuille de route, cet objectif est primordial afin de garder une motivation intacte.
Cette hiérarchisation des objectifs engrange quoiqu’il arrive de la confiance. En effet, et c’est humain, combien de commercial en avance sur ses objectifs n’a pas vu sa motivation graduellement diminuer ? Combien d’équipe en avance sur la sortie d’un projet n’a pas vu sa motivation vaciller ?
Pour fonctionner, cette gestion de la performance ne doit pas éluder le sentiment de plaisir.
Il paraîtrait presque incongru de parler de ce sentiment dans une entreprise. Comme si cette notion n’était compatible qu’avec des métiers artisanaux, acquis comme moins aliénant et plus nobles. Dans la recherche du résultat, le plaisir apparaît d’abord comme un frein, une dangereuse distraction.
« En apnée, on est focalisé sur le temps et la profondeur. À être trop centré sur le résultat, on perd l’essence de ce que l’on fait. Le plaisir est en danger quand la relation est trop étroite avec le chiffre. J’ai souvent vu des apnéistes tellement focalisés sur la barre des 100 mètres de profondeur qu’ils en échouent, alors qu’ils en avaient la capacité ».
À la lumière de ces trois notions interdépendantes – patience, confiance et plaisir – les chefs d’entreprise et les managers peuvent plonger d’une certaine manière dans l’univers de Guillaume Néry.
Pour prolonger l’expérience, nous vous invitons à regarder « L’exploration intérieure », la conférence TED donnée par Guillaume Néry à la Sorbonne en 2015.
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